Proposition n° 8 : Pourquoi faisait-elle toutes les nuits le même rêve dans lequel un inconnu lui indiquait l'emplacement d'un trésor enfoui sous les voies ferrées de la gare de l'Est ? (Durée : 30 mn)
Depuis de nombreuses années, Jeanne se rend chez son psychologue à raison d'une fois par semaine.
Aujourd'hui, c'est une vieille dame …. mais elle a besoin de ce moment d'intimité pendant lequel elle extirpe des lambeaux de son enfance, elle qui croyait avoir bien surmonté les difficultés de la vie.
Née en 1932, Jeanne a passé ses premières années dans l'insouciance, dorlotée par des parents attentifs. A huit ans, comme tous les autres enfants, elle ne pensait qu'à jouer à la marelle dans la cour de l'école. Elle était une bonne élève. Tout allait bien.
Mais, les visages plein de vigilance se sont assombris.
1942 : elle a dix ans. C'est la guerre. Elle a peur.
Début octobre c'est la rentrée scolaire. Quand Jeanne pénètre dans la salle de classe elle trouve que l'ambiance est bizarre. La maîtresse fait l'appel. Plusieurs élèves sont absentes. Les jours passent … les absentes sont toujours absentes.
Au bout de deux semaines, il faut se résigner : les copines, Ruth, Sarah et Rebecca ne sont plus là, avec leurs rires et leurs mimiques de pitres. Et, aucune explication !
Elle cherche à comprendre, elle pose des questions, elle obtient de vagues réponses, pas très convaincantes.
Un soir, alors que ses parents la croient endormie, elle les entend parler à voix basse.
"Il parait que les petites camarades de classe de Jeanne, tu sais, Ruth, Sarah et Rebecca; eh bien, elles faisaient partie de la rafle du Vel d'Hiv. Une voisine les a vues, accrochées à leurs parents; poussées dans un autobus. Maintenant, ils doivent tous être dans un camp de travail en Allemagne. Ils ont tous été emmenés là-bas en train, des vrais wagons à bestiaux au départ de la gare de l'Est. Tout cela est effrayant."
Jeanne n'en croyait pas ses oreilles. Elle a commencé à faire des cauchemars. Elle a attendu le retour de ses amies. La guerre a fini par finir …. mais les trois amies ne sont pas revenues s'asseoir sur les bancs de l'école.
L'horrible vérité, personne ne voulait l'évoquer. Jeanne a enfoui son angoisse quelque part dans le tréfonds de sa conscience. Elle est devenue institutrice, s'est mariée, a eu deux enfants adorables. Elle s'est crue délivrée du côté sombre de son enfance.
Mais, au moment de la retraite, est-ce parce que sa vie était devenue moins trépidante et qu'elle ressentait une certaine vacuité dans sa vie que Jeanne s'est mise à faire le même rêve dans lequel un homme inconnu lui indiquait l'emplacement d'un trésor enfoui sous les voies de la gare de l'Est.
À bout de nerfs, elle a consulté un psychologue. Elle voulait se délivrer de cette image récurrente, obsédante et angoissante. Elle voulait surtout comprendre.
Au fil des séances, elle s'est mise à dénouer l'écheveau de ses souvenirs. Elle est arrivée à l'année 1942. Elle est peut-être là l'explication.
Un après-midi, Jeanne s'est rendue à la gare de l'Est comme on part en pèlerinage. Elle a vu le bâtiment majestueux, les statues accueillantes représentant des villes de l'Est de la France. Elle est entrée dans la gare. Elle a marché lentement le long des quais en scrutant les voies. Selon toute vraisemblance elle avait l'air bizarre.
Un agent de la S.N.C. F s'est approché d'elle avec sollicitude :
-"Vous cherchez quelque chose ? Vous avez perdu quelque chose ?"
Jeanne se retourne et regarde le jeune employé.
-"Oui, j'ai perdu quelque chose mais c'était… il y a longtemps. C'était en 1942. J'ai perdu des êtres chers….. Des amies. Elles étaient la vie, la joie de vivre. Elles avaient dix ans. L'enfance est un trésor… et ce trésor a été dilapidé, souillé ici sur cette voie de chemin de fer."
Jeanne est restée seule encore un bon moment. Elle a continué son chemin comme on suit un chemin de croix.
Elle est rentrée chez elle, libérée.
Elle n'ira plus chez le psy. Elle a enfin compris.
Marie dp