LE BAISER DE LA VEUVE d'Israel Horovitz - Adaptation Eric Kahane
Mise en scène Tony Le Guern.
Théâtre 12 jusqu'au 7 décembre 2013
Ce qui saute aux yeux dès les premières répliques des protagonistes - deux hommes dans un décor nu, lugubre, jonché de vieux journaux, c'est l'extraordinaire talent d'acteurs soutenant et transcendant un dialogue des plus quotidiens.
Cela se maintiendra tout au long, l'apparition de la "Veuve" (Capucine Jaworski) fragile et sophistiquée, au jeu mesuré, à la voix presque faible convenant au personnage,ne faisant que mieux ressortir la verve gouailleuse et l'agilité corporelle de Toni Le Guern et Bruno Guillot.
Est-ce cette réussite qui fait trouver banal le texte en soi ? On est amené à se poser la question, malgré la carrière brillante de l'auteur américain.
Sans doute les références implicites aux grands maîtres peuvent-elles lui porter ombrage : ceux qui ont fait tout dire au "presque rien" du langage : Beckett, Ionesco, Adamov etc..
Ici on a souvent l'impression que le texte tourne en rond, avec des redites, des insistances. Ces retours et redondances participent, certes, de la structure circulaire du drame : on passe et repasse par l'évocation de souvenirs scolaires, jamais au même niveau, pour s'approcher du nœud tragique de la mémoire qui, mis à jour, déclenchera le meurtre final.
La portée de ce retour au passé, hésitant et obsessionnel, est gravissime : les changements d'attitude des hommes entre eux et vis à vis de cette femme désirée qui, d'une certaine façon, les manipule parfois en des scènes étonnantes, voire choquantes, de coquetterie outrée, nous donnent à voir l'éternel conflit des deux genres : la femme, si elle n'attaque pas, reste une proie, et l'enjeu de la rivalité masculine. Si par son impudeur jouée elle caricature celle usuelle et considérée comme naturelle des hommes, on ne la supporte plus. Si elle se contente d'être passivement objet de désir, les instincts se déchaînent. Ce jeu trop connu avec ses avancées et ces reculs préfigure la révélation du "jeu" mortel qu'est le viol et que, ne pouvant en demander pardon, contrairement à Bobby, George voudra prolonger avec la même absence d'âme, ce qui poussera l'autre à l'éliminer comme le témoin et le témoignage de l'horreur à laquelle il a participé. Du coup, il perd tout : son ami et la femme qu'il dit aimer depuis toujours.
Cette peur de l'impuissance qui gouverne le sexe masculin s'aggrave de la différence de classe : Bobby et George sont restés ouvriers, précaires, à la limite de la marginalité ; Betty est devenue une critique d'art célèbre. Cette réussite impardonnable exaspère chez eux passion et frustration.
Le propos est terriblement actuel, féministe, humaniste. Reste sur le plan logique la question du motif du retour de cette victime qui dit au départ n'avoir pas envisagé de vengeance, et artistiquement, chez le spectateur, cette impression d'un texte un peu en deçà des intentions.
Marie-Claire C