Saluons le travail de l'équipe du Vingtième Théâtre présentant ces dernières années à des prix très modiques un répertoire varié et souvent excellent.
Les Caprices de Marianne de Musset à l'affiche sont un vrai régal, en grande partie par la redécouverte qu'ils permettent d'un texte fabuleusement moderne.
Le fond carnavalesque de Venise constitue avec ses pitreries grossières une prémonition caricaturale de ce qui lie les protagonistes : amours et amitiés contrariées.
La belle tirade d'Octave à la fin qui a tout perdu avec son ami Coelio, tué à sa place, est ainsi préfigurée au début, sur le mode dérisoire, par un simulacre grotesque de coït entre deux masques masculins.
Analysée dans un style étincelant où les images en cascade révèlent des tréfonds psychologiques la condition des femmes -et des hommes - dans le rapport amoureux est le sujet principal de la pièce.
À la sortie du théâtre un dialogue avec l'actrice interprétant Marianne a confirmé mon impression - la sienne - d'une permanence de ces interrogations sur le sens de l'amour que les hommes prétendent nous porter.
Là où l'inégalité sociale fait que les plus riches boivent les meilleurs vins, comment se fait-il, se demande l’héroïne, que la plupart des hommes cherchent indifféremment la prostituée en toute femme ? Sans doute les contraintes rigides de l'époque - et parmi elles la prison économique que continuent d'être la plupart des mariages - donnent-elles encore plus d'acuité au constat. Mais il reste dans notre société quelque chose de ce "traitement" d'un genre par l'autre.
Aussi, hélas, d'une forme plus violente encore de ce mépris déguisé en amour : les violences conjugales que le metteur en scène met cruement en lumière. Marianne se révolte trop tard contre le sort qui lui est fait, s'arrachant le corset de respectabilité qu'Octave oppose à la "miséricorde" de femmes plus humbles, même si elles font payer leurs caresses… tirade qu'on peut entendre comme un hommage au peuple.
Elle perd tou t: mari, fortune, et surtout amours potentielles que l'éducation reçue au couvent, sa fréquentation de l’Église, sa docilité au conformisme lui ont interdites.
À Octave il reste l'amour pour son double Coelio, et ce n'est pas rien.
Coelio à Octave : "Comme tu es heureux d'être fou !".
Octave : "Comme tu es fou de ne pas être heureux !".
On sort de cette représentation la tête bruissante de réflexions où le féminisme et les luttes à poursuivre ont une grande part ; mais aussi l'intégrité de l'engagement amical, son total désintéressement qui ravive l'espoir en l'humain.
Marie-Claire Calmus