Lors de ma randonnée dominicale, j’ai rencontré Héloïse, personnage reconnu au village. Tout en marchant d’un bon pas, nous avons échangé, comme nous l’avons souvent fait, c’était l’heure des confidences.
Héloïse est enseignante en maternelle depuis de nombreuses années à l’école des Petits ruisseaux. Visage souriant, coiffure bouclée brune, pulls colorés en hiver, chemisiers fantaisie aux beaux jours, elle ouvre sa classe toujours de bonne humeur. Si parfois elle est soucieuse elle ne le manifeste pas devant ses élèves.
Elle connait bien les familles, a vu grandir les fratries jusqu’au lycée, ne les a pas perdues de vue, aime suivre leur parcours. Au début de sa carrière, elle a même accueilli dans sa classe, certains bambins, qu’elle retrouve en tant que parents, elle les revoit avec émotion. En fin de journée, après la classe elle écoute, rassure ou guide qui en a besoin, son temps n’est pas compté. Quand tous ont quitté les lieux, elle remet tout en place, prépare le matériel pour les activités du lendemain, en rangeant elle réfléchit à qui va faire quoi, quel enfant va-t-elle mettre en avant pour le valoriser.
Sa maison située à l’écart du village est le prolongement de sa vie professionnelle. Dans son jardin poussent des idées qu’elle fait fructifier selon les besoins à venir.
À la fin de l’hiver, Héloïse pense déjà au spectacle de fin d’année. Son garage est transformé en atelier de décors, peinture, découpages, fabrication de marionnettes. Comme elle a quelques notions de couture, sous une fenêtre elle a installé un atelier réservé à la confection de costumes en tissus ou papiers divers. Héloïse a toujours été très manuelle, très imaginative, a aussi appris au cours de ces années à faire avec peu, récupérer du petit matériel par-ci par-là, trouver de l’aide auprès des parents, leur faire confiance. Parfois elle met de sa poche afin de terminer à temps un projet entrepris. Le weekend elle sollicite certains élèves de primaire, après avoir entendu leur demande pour des activités créatrices.
Sa tête bouillonne jour et nuit, mais il lui manque souvent le temps et les moyens pour les concrétiser. Si à l’heure de s’endormir elle pense avoir fait relâche, parfois un rêve la réveille en sursaut, elle se lève et note pour ne pas oublier.
Le Vendredi après-midi, l’heure du conte est attendue. Les histoires sont imaginées et écrites par elle-même. La veille, elle les répète seule, plusieurs fois à voix haute, face à son chat pour auditoire, elle teste les mimiques, les sons, les gestes devant la glace. Elle se vêt selon l’ambiance et le héros du conte : jupe à volants, collier et boucles d’oreille à grosses perles, chapeau, fanfreluches ou pantalon frangé, c’est selon.
À sa demande, les enfants s’assoient en demi-cercle sur des coussins. Tout en étant attentive à chacun, elle entre dans le personnage, elle est une autre. Les yeux écarquillés, aucun spectateur ne bouge, certains s’endorment en se caressant les cheveux ou en suçant leur pouce.
En fin de semaine Héloïse vérifie si le programme a été suivi, elle aimerait bien le modifier, certaines directives la gênent, elle fait alors comme elle le sent. L’essentiel est ce qu’elle donne, et non ce qu’elle doit rendre. Peut-être éveillera-t-elle ces petits à la lecture ou à tout autre intérêt artistique
Héloïse se souvient.
Étant enfant, elle était en admiration devant Madame Loriot, sa maitresse qui l’a suivie tout au long de ses classes primaires. Pour faciliter la lecture au tableau noir, elle était placée à la première table, juste devant l’estrade, elle suivait les mots, les gestes, les déplacements de Madame Loriot avec attention.
Le jeudi à la maison, avec son frère un peu plus jeune, elle jouait à l’école, tenait toujours le rôle de la maitresse devant son frère en élève attentif.
Son père lui disait "Tu ferais mieux d’aider ta mère au ménage". Elle lui répondait que lorsqu’elle sera plus grande, elle ne sera pas ménagère mais institutrice. Oui, institutrice, ce mot lui plaisait, il résonnait dans ses oreilles, comme si elle posait chaque syllabe sur un piédestal plus haut que l’estrade de Madame Loriot. Un avenir professionnel était en gestation.
Héloïse est en fin de carrière, en Juillet elle quittera Les petits ruisseaux avec regrets. La fête de fin d’année sera pour elle la dernière. Sûr, elle ne coupera pas les liens, elle rencontrera les enfants devenus grands, ou les parents sur les chemins de randonnée, elle longera d’autres petits ruisseaux et marchera vers de nouvelles aventures.
Annick D