Comme chaque année, ce week-end de Pâques la famille s’est retrouvée. Nous avions prévu une randonnée au bois de la Garenne, mais par ce temps pourri, il a bien fallu organiser une autre évasion plaisant à tous.
Yves, n’étant jamais à court d’idées, propose de visionner des diapos découvertes ces jours-ci au fond d’une boîte soigneusement ficelée. Curieux de tout, surtout de l’inconnu, il ne résiste pas, certaines photos nous révèleront peut-être des instants oubliés ou ignorés de nous, peut-être même des secrets tus jusqu’à ce jour.
Au bas de ces petites fenêtres cartonnées rien n’est noté, pas de dates pas de noms, au centre seulement apparaissent des ombres en transparence.
- Nous verrons bien, ce sera la surprise du jour.
Le temps d’installer l’appareil de projection plutôt poussiéreux qui n’a pas vu le jour depuis bien longtemps, de se remémorer le fonctionnement, nous nous calons les uns contre les autres sur les canapés, les plus jeunes sur des coussins posés au sol, nous sommes impatients.
Lumière éteinte, rideaux tirés, silence on tourne.
En l’absence de fond sonore, un clic annonce chaque photo défilant en noir et blanc, d’autres en couleurs plutôt passées.
Clic, la plage à Saint Gilles en soixante-seize, été chaud, tous à l’eau, même ceux qui ne savent pas nager.
Reclic, le camping sauvage en Ardèche, par une nuit de grand vent, la tente s’est arrachée, nous avons terminé la nuit à la belle étoile pour le plaisir de tous.
Clac, le passage du Gois à Noirmoutier, trop long démarrage de la Diane qui a pris l’eau, les cousins ont été sauvés à temps.
Clic, la descente des pistes à la Plagne, se terminant par une jambe plâtrée.
Clac, le départ dans les Landes, la Dauphine hyper chargée, du coffre à la galerie, sans oublier le vélo accroché à l’arrière. Que d’aventures, que de souvenirs !
- Ah vous pouvez vous marrer, c’était vraiment l’aventure, la sécurité n’était pas au programme.
Les images inanimées défilent toutes aussi évocatrices, aussi parlantes, chacun ajoute son commentaire entre les rires. Nous nous reconnaissons jeunes et beaux, nous tentons de nous remémorer les lieux, les visages, les noms, depuis certains ont disparu, d’autres sont nés, les questions ne manquent pas.
Un instant, silence, pause sur une image un peu plus sombre, un peu plus trouble. Nous devinons une jeune fille assise sur un banc en fer forgé, tirant sur ses genoux le bas de sa robe semblant neuve, que veut-elle donc cacher ? Elle tient à la main un bouquet de violettes qu’elle serre contre elle. Entourée d’un couple se tenant très droit, aux visages fermés, aux lèvres pincées, engoncés dans leur costume de fête, probablement ses parents, ça ne semble pas la joie. Qui peut bien être cette petite brune aux longues boucles tombant sur les épaules, au regard lointain à demi caché sous sa frange ?
Soudain, d’une voix à peine perceptible, la tante Marguerite se manifeste.
- Mais je la reconnais, il me semble que c’est Héloïse à dix-huit ans, passez-moi mes lunettes, oui c’est bien elle, comme je l’aimais, cette petite.
Sur cette photo, Héloïse ne sourit pas, Héloïse semble muette, Héloïse regarde sans doute le photographe mais elle semble être ailleurs. Marguerite, reconnue comme la mémoire de la famille, nous raconte la suite.
- Regardez bien cette photo, ça devait être un jour de fête, sauf pour elle, le cœur n’y était pas. Héloïse semble un peu arrondie dans sa robe bleue à volants atténuant ses formes. Elle ne sait pas ce qui l’attend, si, plutôt elle s’en doute, étant enceinte depuis peu, elle va devoir se marier bon gré malgré. Elle a bien pensé à étouffer l’affaire clandestinement bien sûr, avant que ses parents ne découvrent la faute, mais elle ne connaissait personne de confiance. Ou sinon, elle avait envisagé un aller et retour en Suisse, mais elle craignait les questionnements de ses parents, de plus, étant étudiante et mineure elle n’avait pas les finances, elle s’est donc résignée. Le jour où elle ne pouvait plus se serrer, que sa mère a découvert le pot aux roses, elle a eu droit à toutes les insultes.
- On t’avait pourtant mis en garde, une fille-mère chez nous, la honte de la famille, que vont dire les amis, les voisins, nous voilà bien, Il faut te marier au plus vite. Cet enfant nous l’élèverons si tu n’en n’es pas capable, un de plus dans la famille ça ne changera pas grand-chose. Et le père dans tout ça, si c’est ce petit vaurien avec qui on t’a vu, et bien ma pauvre fille, que vas-tu devenir. Bon, marie-toi, ensuite on avisera.
Alors le clan va décider pour elle. La mère a déjà contacté Juliette la couturière qui ne fera pas courir le bruit, elle est muette comme une carpe. La robe sera blanche malgré la virginité n’étant plus au programme, mais on fera comme si. La taille sera à peine marquée, on relâchera les pinces si nécessaire, dans un mois ses rondeurs seront plus visibles. La coiffure sera une fine couronne de roses blanches, les épines soutiendront le voile, il n’y a pas de roses sans épines, le parfum des roses est éphémère, les pétales se fanent mais les épines restent.
Ah ! La pauvre Héloïse sur cette diapo, elle ne sourit pas, elle ne pleure pas, elle garde ses larmes pour plus tard, toute gamine c’est ce qu’on lui disait, elle a retenu la leçon.
Depuis, qu’est devenue Héloïse ? Marguerite, fière de nous voir curieux de cette affaire, nous déroule la suite du film.
- Si vous voulez tout savoir, pour éviter le mariage qu’elle appréhendait comme une fin de vie à peine commencée, Héloïse s’est enfuie huit jours avant la date fatidique, elle voulut s’éloigner aussi loin que possible. En fin de journée elle chargea son sac à dos de quelques vêtements indispensables marcha discrètement jusqu’à la gare d’Austerlitz, sauta dans un train de nuit, puis un bus qui la déposa à un carrefour complètement désert, elle termina son trajet à pied tout en sanglotant, épuisée, vidée. Au lever du jour je la vis arriver devant ma porte pour y trouver refuge, pourquoi était-elle venue jusqu’ici ? Olmet, mon petit village perdu au fin fond du Massif Central, elle y était attachée, ayant passé tous les étés de son enfance. Ses parents me l’envoyaient afin qu’elle prenne un bon bol d’air, elle y serait mieux qu’à Belleville, je devinais qu’ils seraient surtout tranquilles pendant deux mois.
Ce matin-là, auprès de moi elle savait qu’elle trouverait une épaule où s’appuyer, une oreille pour l’écouter, qu’il ne lui serait fait aucun reproche, qu’elle serait loin de l’orage provoqué par sa décision, personne ne viendrait la chercher dans ce village isolé.
Elle y vécut plusieurs mois, le temps de mettre sa fille au monde, d’y voir plus clair. Personne ne s’est inquiété de son départ, personne n’a su où elle était, depuis ce jour elle n’a plus revu ses parents. Tout en reprenant ses études, elle a élevé seule sa fille, a construit sa vie au mieux comme elle l’entendait.
Les années passant, elle concrétisa son projet mûrement réfléchi en créant un foyer pour mères isolées dans la région Lyonnaise. Ne reculant pas face aux doutes, aux portes fermées, aux démarches invraisemblables, elle n’a jamais désespéré, pierre après pierre elle a réussi. Pour l’inauguration j’étais la première invitée, elle m’a présentée comme sa mère de cœur.
Héloïse fut montrée du doigt comme la honte de la famille, à ce jour elle est la fierté de ceux qui savent, ceux qui par la suite se sont intéressés à elle, l’ont soutenue dans ses combats.
Nous restons tous émus de cette histoire, nous sentons l’émotion dans la voix de Marguerite. Yves nous invite à faire une pause autour d’une coupe de Champagne en l’honneur de notre honorable tante et sa mémoire, nous sommes certains qu’elle pourrait nous dévoiler d’autres secrets.
Par la fenêtre, quelques rayons de soleil apparaissent, nous sortons au jardin, nous échangeons sur les souvenirs remontés à la surface grâce à ce jour de pluie.
Soudain le bruit d’un moteur attire notre attention, puis s’arrête, nous n’attendions personne mais il sera bienvenu. Une voiture blanche se gare, la portière claque, apparait une femme avançant d’un pas léger. Sa robe bleue mi-longue laisse deviner une fine silhouette, sa longue chevelure brune ondulée vole au vent, qui est donc cette inconnue ? Avant même qu’elle se présente, Marguerite lève de nouveau la voix,
- mais c’est Héloïse, je te reconnais, quel bon vent t’amène ?
- Mon bon vent c’est toi, je savais que ce jour de Pâques tu serais parmi les tiens, tu m’as souvent parlé de cette tradition, je n’ai pas oublié, je n’ai rien oublié.. Tu es ma force, de tout mon cœur je te remercie.
Marguerite l’enlace, la serre fort contre elle, tout en lui chuchotant à l’oreille.
- Je sais que ce soir tu partiras, mais je suis heureuse de ton chemin parcouru.
Annick D.
Commentaires
Ton histoire illustre le commentaire que j'ai fait du film. Super, Annick et merci Jeanet de les avoir joints ! Comme quoi le film relate bien la triste réalité. Belle histoire que la tienne. MC