Thème "Trois photos tirées au hasard: un objet, un lieu, un personnage ; imaginez une scène "
Mauvaise rencontre.
Un après-midi d'hiver, tout comme la veille et l'avant veille, le ciel est grisonnant, brumeux à se terrer au fond d'un trou. Clémence réside dans un immeuble où elle se sent bien seule. Autour d'elle ne vivent que des personnes du troisième voire du quatrième âge. Entre les bonjours et les bonsoirs les échanges sont plutôt rares. Pas même un couple de son âge, pas un enfant non plus avec qui elle pourrait raconter des histoires qui font rêver ou dormir debout, pas même un chat noir qui pourrait porter bonheur. En fin de journée, comme d'habitude elle s'appuie à la rambarde de sa fenêtre et s'invente une autre vie qui pourrait la sortir de ce calme plutôt tristounet.
De l'autre côté de la rue, dans l'immeuble en face, elle remarque depuis plusieurs jours un homme derrière sa vitre l'observant à l'aide de jumelles. "Mais qu'a-t-il donc celui-là à me mater avec insistance, je vais lui dire deux mots". Elle lui fait de grands signes tout en l'invitant à descendre. Au coin de la rue il y a un petit café où il pourra s'expliquer.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Devant la porte du bistrot il est déjà là à l'attendre, avec sa mine patibulaire. Tremblante, le teint blême, elle n'est pas très rassurée. Au fond de la salle dans la pénombre, sans un mot, ils s'installent autour d'une table. Lui, ne dit rien, sous son regard glacial il ne la quitte pas des yeux, visiblement il la détaille. Le bonnet de laine enfoncé, engoncé dans son blouson de cuir plutôt crasseux, il ne semble pas très à l'aise. "Pourquoi ne l'ouvre-t-il pas par cette chaleur étouffante. Que cache-t-il là-dessous, peut-être ses jumelles, mais pourquoi puisque je suis là face à lui, il me semble vraiment très louche".
Soudain, brisant ce silence, un bruit métallique résonne. De plus en plus angoissée, Clémence sent son cœur palpiter. Rapidement il se baisse, pose le pied sur un objet brillant, mais il n'a pas été assez rapide. Elle a bien vu, c'est un couteau, un Opinel rutilant à la lame pointue finement aiguisée.
Il prend les devants, en s'excusant de l'avoir fait sursauter. Gêné, il balbutie "Je dois vous dire que je suis boucher. Du matin au soir je tranche, je coupe, je découpe, je cisaille, je tape, je me défoule avec tout ce qui est tranchant. Ainsi, ma journée terminée je ne me sépare jamais de mon Opinel, j'en ai besoin, il est mon ange gardien. Il y a quelques années j'étais menuisier ébéniste, je sciais, je rabotais je créais, et patatras, je me suis retrouvé au chômage. Afin de garder la main, dés que je suis chez moi je fais de la sculpture sur bois. Actuellement j'ai le projet de sculpter, bien sûr avec mon Opinel, la femme dont je rêve. Depuis que je vous observe de ma fenêtre je pense avoir rencontré le bon modèle. Voulez vous poser pour moi".
Clémence devient blême, elle reste froide à cette proposition plutôt inattendue. Si elle refuse il serait capable de lui mettre le couteau sous la gorge à cet instant même, si elle accepte que va-t-il faire d'elle en allant chez lui ? Sait-on jamais... Après toutes ces émotions elle aurait bien besoin d'une boisson chaude, va-t-il lui en proposer une en attendant sa réponse ? Non, la galanterie n'est pas son genre. Elle reste muette mais sa décision est prise. La nuit tombe, le bistrot va bientôt fermer. Sans même lui dire bonsoir, Clémence rentre chez elle frôlant les murs.
Ce soir, comme les suivants, elle fermera ses volets ainsi que sa porte à double-tour. Demain elle l'évitera, puis elle tentera de l'oublier.
Annick D.