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Nouvelle " Le bousculeur d’attente."

Alphonse, surnommé le fonceur est bien connu au pays des marmottes ; ceux qui attendent depuis longtemps, les patients, les timides, les résignés préfèrent l’ignorer. 

Comme tous les jours, Alphonse le bousculeur se sent bien seul sur la place de la République à l’heure de la sieste, il y a tant à faire dans cette ville endormie, mais il a besoin d’un coup de main. Son but est d’apporter de nouvelles idées, bousculer l’ordre établi depuis des années, il veut persuader ceux qui attendent, qu’il est dommage de rester passif en laissant le temps passer, c’est du temps perdu à jamais, il a bien l’intention de les secouer.

- Dis donc Roméo, que fais- tu là tous les jours, le nez en l’air ?

- J’attends la pluie, pour ensuite attendre le beau temps, ça me passe le temps.

- Alors, emploie ce temps utilement, avec ce changement climatique, tu ne sais ce que sera demain, tu n’auras ni l’un ni l’autre si tu restes là les bras croisés.

- Et toi Merlin, comment te sens-tu assis sur ce tronc, les mains dans les poches ?

  - Chaque matin j’observe si les graines semées le mois dernier produisent de jeunes pousses, est-ce bien la bonne terre, je désespère.

- Je crains que tu sois enterré avant de les voir sortir, les oiseaux plus rapides que toi sont déjà passés par-là.

 - Oh le beau Pierrot, tu es tout pâle, sors de ton antre, tu as l’air si triste, que se passe-t-il ? 

- Je clique toute la journée sur mon ordi, à la recherche d’une bonne compagnie qui ne  me bousculerait pas  dans mes habitudes.

  - Ferme ta boite à pièges, c’est une attrape nigaude. Vas plutôt dehors découvrir les beautés du monde, rencontrer des inconnus, ou marcher seul si tu préfères la solitude, mais bouge-toi de là.

Le cyberdépendant n’y croit pas trop mais il met le nez dehors, sait-on jamais, un sourire place de la République vaudrait bien un clic.

Au bout de la rue, une file d’attente s’impatiente à l’arrêt du bus, ça se bouscule, ça s’insulte.

  - Faites donc comme moi, leur dit Alphonse, allez à pied, vous serez plus vite arrivés, vous pouvez attendre longtemps, une  grève est annoncée, dans l’espoir de jours meilleurs, une de plus…Les jours meilleurs dépendront de vous.

Soudain un homme s’énerve, fait tomber ses écouteurs en faisant de grands gestes, bouscule son voisin, qui en renverse un deuxième, faisant tomber un troisième, c’est la dégringolade sur le trottoir, le chien d’une petite dame s’excite et la blesse, évidemment personne ne se sent concerné.

- Qu’attendez-vous donc pour appeler les secours, demande la blessée ?

Comme dans leur vie de tous les jours, chacun attend que l’autre fasse.

Alphonse en a marre de tous ces gens qui attendent ils ne savent pas trop quoi, et c’est comme ça tous les jours. 

La nuit il cogite, un beau matin Il se rend à la mairie de sa commune afin de proposer un projet qu’il nommerait « Nouvelles énergies humaines ». Ce titre pourrait peut-être les inciter à le questionner mais personne ne l’écoute. Aux lieux très fréquentés Il placarde des affiches expliquant brièvement son projet.

 Le maire, contrarié de cette initiative lui semblant farfelue, attend l’équipe municipale, il ne veut pas décider seul, les nouvelles idées il faut s’en méfier, est-ce un bon plan, on ne peut pas bousculer ceux qui votent pour lui depuis  des années, il n’a pas l’habitude d’être sollicité par ses citoyens.

Seule décision, la semaine suivante réunion du conseil municipal à 14 ou 15 heures, le temps d’attendre les retardataires habituels sortant de leur sieste.

Alphonse lance le sujet. Les nouvelles énergies humaines, comment les faire émerger, avez-vous des idées ? Silence, pas très énergique cette équipe municipale.

Personne ne bouge, personne ne veut donner son avis, par crainte de perdre sa confortable place, Alphonse est démoralisé mais il ne baisse pas les bras.

Le soir même il décide de créer lui-même son bureau annonçant, «Nouvelles énergies humaines »non polluantes. Il s’installe dans une salle des fêtes inutilisée, dans cette commune on ne fait plus la fête depuis des années, ça demande des efforts. 

À l’entrée il affiche : Ici, pas de décisions venues d’en haut, chacun apporte à l’autre ce qu’il sait faire, richesse du cœur déclarée non imposable, chacun de vous sera apprécié pour ce qu’il est, et non pour ce qu’il a. Les créatifs, les hors normes seront reconnus à leur juste valeur, sans écharpe tricolore à l’épaule.

Les habitants curieux viennent s’informer, le bouche à oreilles fonctionne, les lymphatiques, les dormeurs se réveillent, ils vont pouvoir prendre la parole, être écoutés. Il y a parfois une file d’attente, mais c’est pour la bonne cause. Soudain, des caractères effacés se manifestent, des talents cachés voient le jour, l’entraide gratuite permet aux habitants de mieux se connaitre. La ville endormie renait, les magasins de literie font faillite, le bistrot du coin devient un petit restaurant bio, cuisine locale, une vague de chaleur humaine s’est installée. 

Monsieur le Maire est inquiet, sa mairie est désertée, sa notoriété n’est plus, cet hurluberlu voudrait-il prendre sa place ? Sans plus attendre, à la nuit tombée il se rend discrètement au bureau des Nouvelles énergies humaines, à la rencontre d’Alphonse le bousculeur afin de percer  son secret, peut-être pourraient-ils s’entendre ?

Bien entendu le maire est le bienvenu. Après quelques heures d’échanges ils font vite la paire en mettant en place des conseils de quartier, chacun propose ses capacités à titre bénévole. Les indemnités de l’équipe municipale sont supprimées puisqu’il n’y a plus d’élus officiels, la mairie se vide, les locaux inoccupés de la commune ouvrent leurs portes, des ateliers d’artisanat s’installent. Les anciens élus sont partie prenante, tout en doutant de la durée de cette utopie.

Alphonse est fier d’avoir réveillé sa ville endormie, il n’attend pas la légion d’honneur, seulement la satisfaction d’être un bousculeur.

Annick D.

 

 

 

Commentaires

  • Bravo Annick, vous m'avez réveillée aussi tant il est vrai que l'on attend des gens comme vous pour nous montrer ce beau chemin de l'entraide.
    Toutes mes félicitations et pour votre bénévolat, celui de votre mari et de votre fils et pour votre texte si émouvant et si d'actualité.
    Annie T.

  • Bravo Annick. C'est une belle histoire que tu nous contes. Ce monde à l'heure de l'internet nous renferme. Sortons un peu de nos écrans. En même temps je n'aurais pas eu le plaisir de lire ton joli texte à 5h09 du matin à Valence direction Toulon. Autrefois tu nous l'aurais conté au coin du feu .Mais c'eût été une autre histoire, humaniste. Merci pour cet instant de vérité et d'inventivité

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