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Nouvelle "L’absence"

L’Automne touche à sa fin, le ciel devient plus bas, plus gris, quelques feuilles jaunies devenues fragiles s’accrochent aux branches avant d’être desséchées. La nature s’endort en attendant les jours meilleurs.

À sa fenêtre, le vieil homme reste pensif, lui aussi est à l’automne de sa vie.

 Chaque matin, si le ciel le permet, Léon se prépare pour sa rituelle promenade au jardin .Chaussé de ses sabots de cuir à semelles de bois, Il enfile sa longue veste en velours côtelé,  enfonce jusqu’aux oreilles sa casquette grise mouchetée, jette un coup d’œil sur le baromètre accroché près de la porte, et de son index tapote le cadran trois fois, comme s’il pouvait changer le temps. Peu lui importe les caprices du ciel, réveillant ses membres engourdis, comme chaque jour il emprunte d’un pas lent les étroites allées du potager laissé à l’abandon depuis quelques temps, en fait plusieurs fois le tour pour voir si rien n’a changé depuis la veille. Se penchant les mains croisées au bas du dos, il observe les pousses à demi enterrées jusqu’au prochain printemps, saison où la nature renaitra. 

 Dans ce lieu tant entretenu au cours de sa vie, Il aimerait retenir ces instants vécus toutes ces années. Il a planté des arbres, certains n’ont pas résisté aux caprices du climat, au ras du sol restent quelques troncs taillés où parfois il se repose les jours de lassitude.

 En fin de journée, le vieil homme songeur s’assoit au fond du jardin, à l’ombre d’un chêne plus que centenaire, il lui parle de ses questionnements comme à un être vivant. Que de fois a-t-il répété à toute la maisonnée : croyez-moi, ce chêne, me survivra.     

A chaque évènement familial était planté un arbuste plus ou moins fragile, surtout des fruitiers. Il choisissait le bon emplacement, tenant compte de l’orientation au soleil, au vent, du gel possible. Dans le périmètre tracé au sol, les enfants creusaient de bon cœur aussi profond qu’ils le pouvaient à l’affût des vers de terre, avant de sauter à pieds joints dans le trou.  Léon plantait l’arbre bien droit, aussi droit que sa conscience, puis recouvrait les racines comme s’il cachait un trésor. Les enfants tassaient la terre avec énergie puis accrochaient au pied de l’arbuste une étiquette artistiquement décorée. La création de ces étiquettes les occupait les jours de pluie, Charles dessinait les fruits, Sophie les coloriait, Pierre les plastifiait. Le chef-d’œuvre était glissé dans un bocal posé au pied de la plantation. Chaque matin les artistes venaient voir si l’arbuste avait produit des fruits, comme nourris par la magie de la nuit, et chaque matin ils entendaient le même refrain.

- Soyez patients mes petits, ça ne pousse pas du ciel sous le clair de lune, Il faut savoir attendre.

 Les jardiniers en herbe ont grandi trop vite, jusqu’au jour où ils ont quitté la maison, délaissant ce jardin où ils ont fait leurs premiers pas.. Depuis les arbres ont poussé, les fruits mûrissent à chaque saison, personne n’est là pour les cueillir, ils pourrissent au sol pour le plaisir des oiseaux.

Léon va et vient dans cette maison trop silencieuse, trop grande, les jours se ressemblent. Les siens l’ont quitté depuis peu, il aurait aimé les garder plus longtemps près de lui. Il aurait aimé leur dire qu’il avait encore besoin d’eux par leur présence affective, il aurait aimé leur raconter des histoires vraies vécues autrefois, leur confier des secrets portés jusque-là comme un fardeau, leur redire ce qu’ils n’ont pas voulu entendre, c’est sans importance répondaient-ils. 

 Comme dans son jardin, Il a semé des graines d’idées, des bonnes des mauvaises, ces graines ensemencées se reproduiront ou pourriront, il a fait au mieux, chacun tracera son chemin comme bon lui semblera.

Pour lui tenir compagnie, seul reste les photos jaunies par le temps. Les jours de pluie il ouvre le tiroir secret de la vieille armoire et sort les lourds albums à la couverture de cuir rouge. En haut des pages noires cartonnées sont notées les années, entre chaque page une feuille à demi transparente laisse le mystère sur ce qui suit. Sa vie défile, il s’arrête souvent sur les mêmes photos le regard fixe, reste un certain temps, tourne la page puis revient en arrière avec plus d’attention, il veut se souvenir, depuis quelques temps sa mémoire lui joue des tours. 

Que pense-t-il, qui sont ces personnes qu’il ne reconnait pas, qui est cette femme souvent près de lui, comment a-t-il pu l’oublier, elle semble si complice à ses côtés ? Vêtue d’une robe d’été jaune à discrètes fleurs blanches, ses cheveux bruns bouclés mi- longs lui couvrent les épaules, face à lui sous son sourire coquin elle le dévore des yeux.

Soudain, à travers la transparence de cette robe une senteur lui revient, ce parfum lui rappelle la belle Mathilde. Pour lui plaire il avait planté du muguet au fond du jardin à l’ombre du mur de pierres. Comme la floraison était éphémère, il lui offrait rituellement un flacon finement ciselé d’un brin de muguet, contenant ce parfum dont elle s’enivrait. Cette femme plutôt mystérieuse s’absentait des jours ou des semaines, emportant avec elle les fragrances de ce jardin. Il ne questionnait pas, se sentait perdu en son absence mais si heureux  en sa présence.

Était-ce déjà pour lui les prémices de sa mémoire défaillante ? Il ne sait pas, il ne sait plus.

Pourquoi ce soir n’est-elle pas près de lui ? Depuis son départ lui semblant loin il n’attend plus rien, sauf son retour, il n’a plus la notion du temps. Au bout de la grande allée, l’aire de muguet s’est étalée, ce parfum va-t-il l’attirer jusqu’ici, va-t-il la faire apparaitre en Mai prochain ?

Toutes ces années passées, chaque mois faisait naitre de nouvelles floraisons embellissant les massifs. Le mimosa  annonçait la fin de l’hiver, suivi par les tulipes au printemps. Sentant l’été très proche les roses s’ouvraient exhalant leur senteur, les dahlias n’attendaient pas l’automne pour parader de leurs mille couleurs. Avant que Mathilde ne parte il lui composait un énorme bouquet, comme pour la retenir. Avec le temps rien n’y a fait, elle n’est plus revenue depuis plusieurs printemps.

Tous ces instants de bonheur vécus ravivent parfois sa mémoire, il ferme avec précaution l’album photos, le range comme un objet précieux, sa seule richesse, toute sa vie.

 Demain comme hier, il tracera ses pas dans les allées du jardin en attendant la naissance de nouvelles pousses et peut-être le retour de Mathilde.

Annick D

Commentaires

  • L'apprentissage de la vie, la transmission d'un savoir, le temps qui s'écoule, les êtres aimés qui ne sont plus, ceux qui sont mais vivent ailleurs. Voile de mélancolie mais aussi de joie : Nos plus grandes richesses ne sont-elles pas nos plus beaux souvenirs, quoiqu'il advienne ? Merci, Annick, pour cet instant de poésie. MartineC

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